Je suis vieux et je ne vais pas tarder à finir con

Publié le par Atelier de l'Impasse

 Après avoir travaillé des années seul dans un placard, ce qui n'était certes pas très confortable mais présentait l'avantage de me tenir éloigné des autres, je dois aujourd'hui faire face à deux défis majeurs pour moi : travailler à plusieurs, et prendre le métro le matin et le soir, ce qui, pour l'autiste que je suis, revient à peu près au même que de se retrouver au milieu de la gare de Bombay aux heures de pointe.

 

La chance a voulu que je partage un atelier avec deux scénaristes, ce qui me protège des réflexions à la con sur ma façon de dessiner, et limite la difficulté au seul fait d'assumer ma place à côté des toilettes, ce qui tend à me rapprocher très régulièrement de mes nouveaux amis, Mathieu en tête, et à supporter le fait que l'un d'entre nous soit persuadé que Paco de Lucia est avant tout le compositeur de la musique de Zorro.

 

Par contre, il a suffi de quelques jours pour que la confrontation avec la réalité qui s'opère dans les couloirs du métro ne m'épuise. La vie souterraine, à Paris, est une agression constante. Comment se fait-il qu'un graphiste, lorsqu'il doit réaliser une affiche destinée aux murs du métro, ne tienne pas compte du fait que son oeuvre est obligatoirement destinée à être placée à côté d'un clochard, ce qui nécessite de mesurer un peu la portée des slogans utilisés, notamment lorsqu'il s'agit de vendre de la bouffe pour les chats ? Comment ce même graphiste peut-il, en une seule affiche, présenter Cuba comme la plus belle plage du monde et nier le fait que les trois quarts de l'île crève en silence, pendant qu'un Inca rescapé des Cités d'Or, affublé d'un teeshirt Che Guevara fabriqué en Chine pour Coca Cola, joue la musique du Derniers des Mohican à la flûte de pan ?

 

Comment donc font tous ces gens pour ne pas être gênés par une esthétique digne du pire des eugénismes, qui nous balance à la gueule des poupées de quinze ans qui défendent l'image de la femme en s'habillant comme des putes, des femmes fatales de 60 ans retouchées au bistouri qui jouent les vierges effarouchées pour les besoins d'une assurance vieillesse, des corps parfaits de chanteuses qui n'ont ni voix ni plume mais bougent leur cul dans l'espoir de sauver l'industrie du disque ou d'épouser le président du conseil, des mâles bien balancés qui arborent des strings dont la nouvelle coupe permet de ne pas occulter le trou du cul, ce qui laisse peu de doute quant au public ciblé, ou nous parlent de leur voiture en clamant fièrement qu'ils “l'astiquent tous les matins”, ce qui vise un autre public, guère plus élégant, pour finir avec une charmante brune décoiffée occupée dès matine à offrir une petite gâterie à son cône glacé préféré.

 

De deux choses l'une, soit je suis en train de devenir un vieux con réactionnaire et frustré, ce qui m'interdit de profiter de la douce poésie de l'univers de la publicité, soit le charmant petit monde de la communication est en train de réussir là où le troisième Reich à échoué.


L'avantage, le seul, de cette escapade quotidienne, est donc de me faire prendre conscience de l'élégance et de la finesse des personnes avec qui je travaille et de la personne avec qui je vis.
Le reste n'est que chaos.


Publié dans Misanthrope(s)

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